« Les États-Unis bouillonnent d’idées positives »

Haut-fonctionnaire et directeur du service économique de l’ambassade de France à Washington, Renaud Lassus décrit dans son livre « Le Renouveau de la démocratie en Amérique » (1) les dangers qui menacent de l’intérieur la société américaine.

Lecture en 4 min.

« Quand Donald Trump a été élu, ce fut un choc pour les Américains », dit Renaud Lassus. Loïc Sécheresse

La Croix L’Hebdo : Avec votre livre, Le Renouveau de la démocratie en Amérique, vous avez souhaité aller au-delà de l’analyse de l’Amérique de Trump.

Renaud Lassus : Quand Donald Trump a été élu il y a quatre ans, ce fut un choc pour les Américains. Les grands indicateurs économiques étaient tous au vert. Et pourtant, la candidate qui représentait cette Amérique forte et brillante, Hillary Clinton, a été battue. J’ai voulu comprendre pourquoi. Et j’ai constaté que les crises qui divisaient le pays ne relevaient pas que de la sphère économique et sociale.

Bien sûr, les inégalités se sont creusées, les revenus stagnent, les ajustements dans l’Amérique industrielle sont violents. Cela explique en partie le taux de suicide en hausse, l’usage croissant des opioïdes qui entraîne ce que le prix Nobel d’économie Angus Deaton appelle « les morts de désespoir ». Mais s’ajoute une crise de l’humain que l’on observe à travers les grandes solitudes sentimentales, les communautés qui se désagrègent, les relations de voisinage qui se délitent.

Qu’est-ce qui selon vous a provoqué cette « crise de l’humain » ?

R. L. : Le lien social se distend. L’altruisme, l’une des valeurs fondamentales des États-Unis, est en déclin. Le marché s’est étendu à des domaines qui n’étaient pas les siens initialement, comme les émotions, monétisées par Google ou Facebook. Et il y a cette vision utilitariste de l’homme, portée par la plupart des grands capitaines d’industrie de la Silicon Valley, qui lui donnent pour seule perspective de fusionner avec les machines. C’est très corrosif.

Les Américains sont en panne de grandes mythologies positives. Or les États-Unis, ce sont d’abord un rêve, une idée. Certains y réfléchissent, parce qu’ils ont peur pour leur pays, pour la démocratie. Ce bouillonnement de la pensée sur la société civile, la nature, l’humain, débouche déjà sur des projets, car aux États-Unis, la pensée est très liée à l’action.

N’est-ce pas la remise en cause de l’ultralibéralisme ?

R. L. : Ce qui s’achève, pour faire court, c’est un grand cycle intellectuel que les Américains appellent les idées libertariennes. L’idée que l’individu prévaut sur la société, et même que la société est une notion théorique ; que la compétition l’emporte sur la coopération ; que le jeu du marché l’emporte sur la régulation et la solidarité. Sur le plan philosophique, l’égoïsme individuel est valorisé. Le fait que chacun poursuive son propre chemin est garant du bonheur collectif.

À quoi cela a-t-il conduit ? À la baisse systématique des impôts et de la redistribution, au gel des mécanismes sociaux, au refus du rôle de l’État fédéral, au rejet de la règle – c’est ainsi qu’Internet s’est développé. Cette période s’achève parce que ses conséquences négatives sur les individus, les personnes, les liens sociaux apparaissent très nettement. Ensuite parce que le jeu de la libre concurrence et la méritocratie ont été bloqués – les États-Unis sont devenus une société héréditaire.

Enfin parce que si les Américains ne se donnent pas les moyens d’une puissance publique, ils risquent de perdre la concurrence des systèmes avec la Chine. Dans les deux camps – le Parti républicain et le Parti démocrate –, ça bouge et on approche sans doute de l’invention d’un nouveau cycle, qui valoriserait l’État redistributeur et l’État stratège, que les États-Unis ont connu dans les années 1930 et 1950-1960.

Les gigantesques incendies sur la côte Ouest feront-ils bouger l’opinion sur le climat ?

R. L. : C’est déjà fait. Il y a les images d’apocalypse en Californie, mais aussi les inondations à répétition dans l’Iowa, le niveau des Grands Lacs qui n’a jamais été aussi haut et où les maisons sur le trait de côte s’effondrent, la Floride qui coule et où on lève des impôts pour payer les stations de pompage…

Souvent, cela concerne des circonscriptions qui votent républicain. Les enquêtes d’opinion sont formelles. Une majorité d’Américains dit aujourd’hui que le changement climatique existe, que l’homme en est responsable, et un sur deux affirme que cela l’affecte personnellement. Par ailleurs, les hommes d’affaires sont dans les starting-blocks. On devrait assister à un grand mouvement de réindustrialisation, autour des emplois verts.

Le racisme continue de diviser la société américaine. Peut-il être combattu ?

R. L. : Le mouvement des libertés civiques, il y a cinquante ans, s’est fracassé sur le choc pétrolier et la guerre du Vietnam. Les stratégies qui auraient permis aux Africains-Américains de s’insérer, de monter dans l’ascenseur social, ont été gelées. Aujourd’hui, le vote Trump montre que les enjeux de discrimination ne seront pas réglés de façon consensuelle tant que le grand malaise existentiel des Américains blancs pauvres ne sera pas résolu.

Cette population fait face à la pire situation de son histoire depuis les années 1930, et sa première défense, c’est de mettre ça sur l’autre. Beaucoup d’analystes appellent donc à des protections sociales universelles. Protection de la petite enfance, hausse du salaire minimum, hausse de la retraite, arrêts maladie, congé paternité : cela doit concerner tout le monde, pas seulement les plus pauvres… Une partie de la communauté africaine-américaine l’a compris et promeut l’universel – « justice pour tous » –, plutôt que la particularité.

L’Europe sera-t-elle impactée par cette nouvelle trajectoire américaine ?

R. L. : Oui, les États-Unis ont une place prédominante dans les équilibres du monde. L’Europe doit prendre conscience de l’originalité des propositions qui germent aux États-Unis, qui s’inspirent d’ailleurs pour certaines des acquis européens. Ces évolutions peuvent nous bousculer et nous enrichir. C’est pourquoi je plaide pour une conversation partagée entre les deux rives de l’Atlantique.

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L’auteur

Renaud Lassus est haut fonctionnaire. Il dirige depuis cinq ans le service économique de l’ambassade de France à Washington. Multipliant les rencontres dans les entreprises et les universités, il suit de près le mouvement des idées. Il avait déjà été en poste aux États-Unis au début des années 2000, pour la Commission européenne. Le Renouveau de la démocratie en Amérique est son premier livre.

L’enjeu

Renaud Lassus n’écrit pas une seule fois le nom de Donald Trump. L’important pour lui est de décrire avec précision les dangers qui menacent de l’intérieur la société américaine et les possibilités d’un nouveau rebond.

Pourquoi on l’aime

C’est un livre optimiste et humaniste. La description des idées formulées aux États-Unis pour refonder la démocratie est un antidote au pessimisme qui traverse la France. Le chemin de la démocratie ne s’est pas arrêté. L’Europe et les États-Unis peuvent s’apporter mutuellement inspiration et courage.

(1) « Le Renouveau de la démocratie en Amérique », Éditions Odile Jacob, 256 p., 22,90 €

Vu d’avant

En 1896, les jardins ouvriers de l’abbé Lemire

Cette innovation du catholicisme social connaît aujourd’hui un regain d’intérêt. Cultiver son jardin comme remède à la crise ?

« Ces jardins permettent aux ouvriers d’échapper à leur taudis, les éloignent des cabarets et encouragent les activités familiales. » Prêtre, député et maire d’Hazebrouck (Nord), l’abbé Jules-Auguste Lemire n’est pas « l’inventeur » unique des jardins ouvriers : la chronique mentionne également Félicie Hervieu, à Sedan (Ardennes).

Mais le fondateur de la Ligue française du coin de terre et du foyer, en 1896, s’impose comme une figure marquante de ce catholicisme social de la fin du XIXe siècle, entre souci de la condition ouvrière et défense de l’ordre moral.

Cette innovation va se multiplier : avant-guerre, la France compte 300 000 jardins ouvriers. En 1952, ils deviennent jardins familiaux. Mais l’objectif reste inchangé : permettre à chacun de cultiver son jardin, à l’exclusion de tout usage commercial.

L’engouement s’émousse pendant les Trente Glorieuses, temps d’urbanisation et de consommation à tous crins. Depuis, la crise est passée par là. Antidote au mal des villes, souci d’une alimentation plus saine, désir de lien social, les jardins familiaux refleurissent : les trois plus grandes associations comptent plus de 135 000 adhérents, et les listes d’attente s’allongent pour espérer disposer de son lopin de terre.

http://www.la-croix.com/Economie/Monde/Comment-mieux-nourrir-planete-2020-06-09-1201098298

Charlotte Luyckx : “Les écovillages proposent un modèle d’écologie intégrale”

Publié le 03/09/2020 à 10h05 – Modifié le 03/09/2020 à 10h05 Pascale Tournier

 
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La philosophe belge Charlotte Luykx nous parlent des « écolieux », ces sites structurés autour d’un village, d’un hameau, d’une ancienne ferme… dont les résidents ont décidé de suivre les principes de l’écologie. Selon elle, les écolieux sont des espaces d’invention et d’expérimentation d’une vision holistique de la société. On y repense tous les domaines de la vie. 

Docteure en philosophie à UC Louvain (Université catholique de Louvain, Belgique), Charlotte Luyckx est spécialiste des enjeux philosophiques liés à la crise écologique. Elle coordonne un séminaire de recherche interdisciplinaire sur la crise écologie (Grice/UC Louvain) et elle est chargée de projet à la Maison du développement durable de sa ville, Ottignies-Louvain-la-Neuve. Parmi ses articles récentes : « L’écologie intégrale : relier les approches, intégrer les enjeux, tisser une vision » (Puf, la Pensée écologique, 2020) et, en partenariat avec Emeline De Bouver : « L’écosystème de la transition, diversité des engagements pour répondre à l’urgence écologique » (l’Institut d’écopédagogie, 2019).
 

Comment appréciez-vous l’émergence et le développement de tous ces oasis, éco-hameaux, écovillages, habitats participatifs ? De quoi sont-ils le nom ?

Ces lieux expriment une aspiration d’une part croissante de la population à expérimenter des modes de vies alternatifs. Ils sont à mes yeux des laboratoires qui ouvrent des possibles, rassemblant des personnes qui cherchent à recréer du lien social et rendre leur vie quotidienne compatible avec les limites planétaires, tout en étant pleinement satisfaisante sur le plan existentiel. Il existe une palette d’initiatives : de l’écoquartier aux écovillages, en passant par les « Oasis en tous lieux » (inspirés de Pierre et Sophie Rabhi), les Zad (Zones à défendre)…

La question de la reconnexion profonde avec la nature et l’ancrage dans une pratique spirituelle sont souvent présentes. 

Là où certains font le choix de viser une transformation du système existant, celles et ceux qui font le choix de vivre en écovillage sont mus par l’aspiration à créer du neuf, plus ou moins en marge du système existant. Je pense que les deux démarches sont nécessaires pour générer la transformation de notre civilisation, et elles sont d’ailleurs confondues dans certains cas (comme celui des Zad, par exemple). En prenant de la distance avec les normes sociétales, l’option écovillage permet de se décoller du modèle culturel dominant dans lequel nous sommes empêtrés souvent malgré nous.

Dans ces poches d’apprentissage, on ouvre le champ et on déploie sa créativité dans tous les domaines : vie sociale, gouvernance participative, écohabitat, éducation, nouvelles technologies, autres modèles économiques, permaculture… La question de la reconnexion profonde avec la nature et l’ancrage dans une pratique spirituelle sont souvent présentes également. Une écologie intérieure (reconnexion à soi, à la nature, développement personnel, guérison intérieure) accompagne les démarches prises dans le domaine de l’écologie extérieure (régénération de la terre, alimentation, habitat, mobilité, énergie…). Parmi les projets de ce type qui ont vu le jour depuis les années 1960, une part significative n’a pas passé l’épreuve du temps. Dans une démarche expérimentale, l’échec fait partie du processus. Mais il y a également des écovillages qui perdurent. C’est le cas d’Auroville en Inde (1968), Ndem au Sénégal (1982) ou Findhorn en Écosse (1962).

Les réponses en termes de modes de vie que proposent les écovillages offrent également l’intérêt d’aborder frontalement les questions du sens.

Depuis la crise sanitaire, ces lieux rencontrent un fort succès, comment l’expliquez-vous ?

Le confinement a offert un temps de déconnexion, du recul, un espace de disponibilité pour s’interroger sur notre rythme au quotidien, l’exigence de productivité dans le monde du travail, nos standings de vie… J’ose imaginer que certaines personnes ont pris conscience des différentes crises qui frappent notre civilisation contemporaine, et, en creux, de la nécessité vitale de développer des alternatives dans tous les domaines. Et en la matière, les écovillages/hameau/quartiers sont particulièrement inspirants. S’attaquant à toutes les dimensions de la vie (alimentaire, politique, agricole, architectural, culturel, spirituel…), ils recherchent des réponses holistiques à la crise. Cela tranche avec la fragmentation des registres, des savoirs et des disciplines qui touche parfois jusqu’à l’engagement écologique (on s’occupe de l’énergie sans s’intéresser à la biodiversité, on s’engage dans l’écologie intérieure sans modifier notre standing de vie, etc). 

Les réponses en termes de modes de vie que proposent les écovillages offrent également l’intérêt d’aborder frontalement les questions du sens. Les idéaux régulateurs (performance, réussite, rationalité, consommation, confort, compétitivité…) qui marquent la société capitaliste dominante ne répondent plus aux aspirations profondes des individus. Nous sentons, au fond de nous, que le modèle occidental en voie de mondialisation n’est pas viable, qu’il nous mène au suicide collectif. Une forme de quête peut alors germer et alimenter la recherche d’autres façons de vivre et de s’épanouir qui soient généralisable pour toutes et tous (et pas seulement quelques élus) à long terme (en intégrant les générations futures).

On peut se reconnecter avec la nature, avec certaines traditions, à un collectif, sans nier son individualité, et son autonomie.

Ces lieux renouent avec le collectif. Ce qui constitue un motif d’attrait, mais aussi une source de péril pour leur existence. Mais vit-on en communauté comme dans les années 1970 ?

Là aussi, il y a toute une palette de modèles : le rapport au collectif peut être très léger (comme dans les habitats groupés) ou très fort (comme dans des approches plus communautaires). Certains ont critiqué l’aspiration « communautaire » des projets soixante-huitards en la présentant comme une aspiration fusionnelle régressive. Pour faire droit à cette aspiration, tout en évitant de tomber sous le joug de cette critique, le concept de « reliance » (cher à Edgard Morin) est inspirant. Je m’explique. Nous sommes façonnés par la culture moderne qui est une culture de la « déliance » : une culture de la rupture de lien, que ce soit vis-à-vis du corps social, vis-à-vis de la nature, vis-à-vis des traditions. C’est le revers d’un processus, positif, d’autonomisation et d’individualisation du sujet, mais qui, poussé à l’extrême, nous montre ses travers : l’individualisme, l’écocide, la perte de sens. 

La reliance n’est pas un retour au lien fusionnel dont le mouvement moderne d’autonomisation nous avait libérés, c’est une nouvelle synthèse, qui, tout en maintenant l’importance de l’individuation et de la séparation, vise la création de liens nouveaux. La reliance ne nie pas la déliance, elle la dépasse en l’intégrant. Je pense que c’est ainsi qu’il convient de comprendre l’aspiration au collectif dans les écovillage et projets analogues. On peut se reconnecter avec la nature, avec certaines traditions, à un collectif, sans nier son individualité, et son autonomie. Il s’agit d’une synthèse.

Pour mieux comprendre les causes de la crise écologique et mieux y faire face, vous proposez un modèle de cinq strates (technique, économique, politique, philosophique et spirituel) Pouvez-vous détailler ?

Nous manquons de modèles qui permettent d’être inclusifs, d’articuler des champs théoriques différents et d’expliciter la pluridimensionnalité de la crise polymorphe que nous traversons. Dans le modèle en strates que je propose, chaque couche est fondamentale, mais non suffisante si elle est prise isolément. Comme en géologie, certaines sont plus proches de la surface, plus faciles à détecter. C’est le cas de la strate technique : les réponses technologiques à la crise écologique sont les plus visibles, les plus médiatisées. Face à la crise climatique on développe le renouvelable ! C’est une partie de la solution, mais en rester là est insuffisant. Une deuxième strate, économique, doit, au moins, être identifiée pour questionner, en complément de la première, notre modèle de croissance productiviste. 

La plupart des « écophilosophes » sont sensible à l’idée de respecter une pluralité de regards qui, ensemble, configurent une nouvelle vision, émergeant de la base. 

Or cela ne peut manquer d’engendrer une série de questionnement d’ordre politique, comme la question de savoir quel niveau de décision serait le plus pertinent pour piloter cette transition : est-ce l’État nation, un ordre mondial ? Faut-il revenir exclusivement au local ? Au niveau politique toujours, on constate que l’orientation droite/gauche n’est plus opérante, comme le souligne Bruno Latour dans son ouvrage Où atterrir ?. Ce sont des vastes champs de questionnement. L’approche ici est résolument macro. On découvre chemin faisant que derrière ces enjeux techniques, économiques et politiques, se nichent de grands enjeux culturels et philosophiques, que la crise écologique remet sur le métier. Elle concerne, par exemple, la nécessité de redéfinir la place de l’humain dans le cosmos, notre vision du réel (notre « ontologie ») ainsi que les questions existentielles du type : « Qu’est ce qui fait une vie humaine épanouie ? »  « Qu’est-ce qu’un besoin ? » « Qu’est-ce qui distingue un besoin d’une envie ? » 

Cette strate philosophique est moins visible que les précédentes, elle est plus implicite. Surtout, elle peut effrayer. Très vite la menace d’une vision écofasciste ou totalitaire est agitée. En réalité la plupart des « écophilosophes » sont sensible à l’idée de respecter une pluralité de regards qui, ensemble, configurent une nouvelle vision, émergeant de la base. Ils sont souvent partisans d’une transformation culturelle par le bas, bottom up (de bas en haut), et pas strictement top down (de haut en bas), imposée par une décision politique. On est donc très loin d’une vision totalitaire. La crainte de l’écofascisme a quelque chose d’un épouvantail.

En s’interrogeant sur notre rapport à la nature on s’interroge sur sa valeur intrinsèque, et la question du sacré réapparaît.

Comment définissez-vous la strate spirituelle ?

La strate philosophique amène une cinquième et dernière strate touchant des enjeux de type spirituel. C’est la plus délicate, en particulier en France, marquée par le principe de la laïcité. La rupture du lien à la Terre, outre les dégâts causés sur la nature, génère une béance existentielle, qui nous amène à chercher à nous relier aux autres humains, à la nature et au sacré. Cette recherche peut prendre des formes théistes ou non théistes. Il est fondamental de faire une place aux questions très profondes que pose l’écologie en terme de mythes fondateurs et de rapport au monde. Quelque part, nous avons là un levier de transformation collective très puissant, qui est trop souvent mis en opposition avec les démarches plus extérieures. Écologie intérieure et écologie extérieure sont en réalité les deux faces d’une même monnaie.

D’ailleurs, dans ces collectifs souvent issus de mouvances laïques de gauche, on renoue avec les rituels, même L’encyclique Laudato si’ a bonne presse…

La crise écologie questionne la vision matérialiste du monde. En s’interrogeant sur notre rapport à la nature on s’interroge sur sa valeur intrinsèque, et la question du sacré réapparaît. Y a-t-il du sacré dans la nature ? La question de l’immanence est centrale dans les différentes tendances écospirituelles. Les moins théistes vont ainsi regarder avec intérêt les traditions chamaniques et animistes. Les plus théistes vont chercher à réinterpréter les traditions religieuses pour combiner immanence et transcendance divine. Dans le contexte chrétien, l’encyclique Laudato si’ offre des points de passage très intéressants. Le pape François y exprime avec clarté la présence immanente de Dieu dans le monde créé sans pour autant considérer qu’Il est identique à la nature (comme dans une vision panthéiste). On est dans une forme de « panenthéisme » (Dieu est présent dans la Création, mais il est également extérieur à elle, transcendant). 

Ces passages sont comme une réponse critique au texte de de l’historien Lynn White qui avait incriminé le christianisme du bas Moyen Âge à la racine de la crise écologique. Il identifiait, aux alentours du XIe siècle, l’émergence d’une vision strictement transcendentaliste (et anti-animiste) de Dieu, qui, considérant Celui-ci dans un rapport d’externalité avec le monde créé, aurait vidé la nature de l’aura sacré qu’on lui reconnaissait jusqu’alors. L’encyclique semble répondre à cette accusation en montrant la possibilité de concilier immanence et transcendance, dans le cadre d’une écospiritualité chrétienne.

Pour sortir de l’impasse dans laquelle nous sommes immergés, il faut autant mettre des éoliennes que réfléchir à de nouveaux indicateurs de développement. 

Ces lieux se font écho de nouveaux concepts comme l’écocide, l’écoféminisme, la « solastalgie », l’écologie profonde… L’écologie intégrale pourrait être le mot qui englobe toutes ces dimensions, mais il n’est pas toujours bien compris.

L’écologie intégrale a différentes veines d’influence : chrétienne, républicaine et psychospirituelle. Dans le mot intégral, il y a « intègre » et « intégratif » pour faire référence à quelque chose qui englobe une pluralité d’approches. Cela peut faire peur, et faire craindre une pensée totalisante. Mais c’est en même temps faire le pari d’un cadre global. 

Pour sortir de l’impasse dans laquelle nous sommes immergés, il faut autant mettre des éoliennes que réfléchir à de nouveaux indicateurs de développement, retrouver notre lien avec le corps et la nature, résister à l’emprise du marché, retisser du lien social, changer la législation, développer des nouvelles formes de gouvernance, réapprendre à faire du pain ou encore à planter des légumes, changer de système économique… ces différentes approches, individuelles, collectives, intérieures, extérieures, structurelles ou « expérientielles », font partie de l’écosystème écologique contemporain. Plutôt que de mettre ces approches en opposition en essayant de répondre à la question de savoir quelle est « La » bonne manière de s’engager, mieux vaut consacrer notre énergie à penser leur complémentarité.  

Méditation de Taizé

Un jour, près de neuf siècles avant le Christ, une femme du village de Sarepta, en plein temps de famine, voit entrer chez elle Élie, l’homme de Dieu. Dans ses réserves, il reste un peu de farine et d’huile. Pour accueillir, cette veuve n’hésite pas à faire trois pains avec tout ce qui lui reste. Et se produit l’inattendu… farine et huile ne manqueront pas. (2) N’est-ce pas une parabole pour nos vies ? Avec presque rien, avec très peu, intarissablement se vit l’inespéré.

  1. Voir I Rois 17, 7-16

Low tech: comment entrer dans l’ère de la sobriété énergétique pour vivre sans polluer

Interwiew Basta mag /par Sophie Chapelle 27 octobre 2015

Les high-tech sont encore en mesure de répondre, en partie, aux risques de pénurie. On le voit dans le cas des énergies fossiles : nous sommes capables d’aller chercher des ressources moins accessibles, comme les gaz de schiste, les pétroles de roche-mère, voire même des carburants à base de charbon ou de gaz. Mais avec une logique de rendement décroissant, il va falloir injecter de plus en plus de technologies et de matières premières pour récupérer une énergie de moins en moins accessible, et dépenser de plus en plus d’énergie pour aller chercher des métaux qui eux aussi se raréfient. Cela se fait au prix d’une fuite en avant. Les nouvelles solutions technologiques entraînent de nouveaux besoins et pénuries, avec leur lot de pollutions et de destructions sociales. Cet extractivisme forcené va continuer à abîmer de manière irréversible, et à un rythme accéléré, notre planète.

Nous sommes toujours rattrapés par les limites physiques de la planète. Les scénarios de déploiement massif d’énergies renouvelables à l’échelle planétaire ne sont pas compatibles avec les quantités de ressources accessibles, notamment métalliques. Et les agrocarburants de première génération ont montré une compétition dans l’usage des sols, comme avec les fermes solaires, qui illustrent les prochains conflits d’usage. Il y a enfin la pollution que tout cela générera : ces panneaux photovoltaïques que l’on fabrique, ces éoliennes que l’on ne sait pas recycler correctement ni à 100 % sont générateurs de déchets ou d’épuisement des ressources.

Il est difficile de prédire si nous atteindrons ces limites dans deux ou cinq décennies, mais la responsabilité morale vis-à-vis des générations futures est à peu près la même. Tout cela est un pari technologique. Nous sommes dans une nouvelle religion, celle de la technique.

(…)l’économie circulaire est un doux rêve. Il n’est pas possible de recycler à 100 % les objets que nous utilisons [2]. Tout ce qui est en train d’envahir notre quotidien – l’électronique grand public, les puces RFID ou les nanotechnologies – est consommateur de ressources. Moins de 1 % des petits métaux utilisés par les high-tech sont recyclés ! Il faut inverser la réflexion et aller vers des objets low tech, des basses technologies. Low tech, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de technologie, de progrès, de savoir, de science, ou même de techniques assez évoluées pour fabriquer les objets. Mais simplement que ces objets doivent être réparables, modulaires, récupérés au maximum sans perdre de ressources au moment de leur recyclage.

Un exemple : le vélo. On voit apparaître des vélos couchés, des vélos qui permettent de transporter des enfants, de déménager… Le vélo est très compliqué à fabriquer, comme la voiture, il demande beaucoup de technologies (métallurgie, chimie, usinage, etc.). Mais il devient simple à l’usage : il est robuste, on comprend immédiatement d’où vient une panne, il est facile à réparer avec quelques pièces détachées, il est presque inusable s’il est bien entretenu. Les low tech posent la question suivante : est-ce que j’arrive à satisfaire mes besoins quotidiens avec des objets plus maîtrisables, à durée de vie beaucoup plus longue, sans y perdre en termes de confort, au lieu d’aller vers des objets de plus en plus compliqués, jetables et qui nous rendent de plus en plus dépendants des multinationales ?

Il n’y a pas de solution technologique, et encore moins de solution low tech, qui permet de continuer notre gabegie énergétique actuelle et notre consommation hallucinante de matières premières ! Se tourner vers la sobriété est évident. Et mieux vaut une sobriété choisie qu’une sobriété subie. Elle peut prendre différentes formes. Il y a des sobriétés simples et faciles qui pourraient presque passer inaperçues, comme l’interdiction des imprimés publicitaires, des chaussures de sport qui clignotent lorsqu’on marche ou des sacs plastiques. Nous pourrions décider d’avoir moins de formats de bouteilles, un peu plus de différenciation sur l’étiquette, afin d’embouteiller au plus près des marchés et de rendre la consigne à nouveau intéressante économiquement et écologiquement. On pourrait économiser au moins 160 000 tonnes de pneus usés par an, en généralisant le rechapage des pneus pour les véhicules des particuliers (c’est-à-dire changer la bande de roulement des pneus, comme c’est le cas systématiquement pour les poids lourds qui font jusqu’à un million de kilomètres après plusieurs rechapages, ndlr). Les solutions pour réduire notre consommation matérielle sont illimitées.

Il y aussi des formes de sobriétés qui feront, a priori, un peu plus mal. Il faudra, par exemple, se tourner vers des voitures ultralégères qui iront moins vite, ce qui implique de brider le moteur, de réduire les équipements et le confort acoustique… en attendant de passer complètement au vélo et aux transports en commun. Tout cela est sans doute liberticide, mais, si l’on s’y met tous, avec des réglementations intelligentes, on pourrait aussi y trouver beaucoup de qualité de vie et de plaisir. Et il en faut ! Le système de croissance actuel est devenu mortifère et n’apporte plus de bonheur. J’habite de plus en plus loin de mon travail, j’ai de plus en plus de temps contraint, je suis pris dans les embouteillages…

Prendre le contre-pied, c’est envisager une sortie progressive de la civilisation de la voiture, au profit d’un retour de la nature dans la ville, d’espaces publics moins bruyants et moins dangereux pour les enfants… Et n’oublions pas que la société est par essence liberticide : après tout, on n’a pas le droit d’immatriculer un char d’assaut, il y a une limite de poids et de vitesse pour les véhicules. Pourquoi cette limite ne pourrait-elle pas évoluer, si cela présente de grands avantages ?

La sobriété – le fait de consommer moins – va être destructrice d’emplois dans l’automobile, l’industrie chimique, les pesticides… Mais la transition peut créer plus d’emplois qu’elle n’en détruit. La croissance des dernières décennies a aussi été destructrice d’emplois : nous avons créé des emplois dans la grande distribution et les usines, mais combien en a-t-on détruit dans le petit commerce et l’artisanat ? Dans les métiers de services, la grande mutation ne fait que commencer, des centaines de milliers d’emplois vont sans doute être perdus : pensons par exemple aux agences bancaires qui deviennent des agences en ligne, au phénomène d’« uberisation », etc. On remplace d’anciens métiers peu qualifiés par d’autres, avec par exemple des gens chargés d’approvisionner les distributeurs de boissons et de friandises dans les stations de métro, ou de changer les bonbonnes d’eau dans les entreprises.

Je fais le pari que l’on peut recréer énormément d’emplois et revenir à des productions de plus petite échelle – tout en conservant les machines là où elles sont utiles, là où elles rendent le travail moins pénible. À commencer, peut-être, par l’agriculture, en la rendant plus intensive en main-d’œuvre, plus créatrice de sens, moins hyperspécialisée, pour mieux maîtriser la qualité de la production. On pourra aussi mieux partager le temps de travail : le fait d’être moins spécialisé permet de mieux partager. Tout cela sera plus enthousiasmant que le scénario de statu quo, avec un nivellement par le bas du coût du travail et donc des salaires, poussé par une concurrence internationale exacerbée et un système de transport mondial diablement efficace.

Il s’agit aussi de faire évoluer notre système de valeurs. Le métier de plombier est l’un des plus utiles : il devrait être rémunéré quasiment comme un pilote d’avion. Ce dernier est bien payé car il est responsable de nombreuses vies. Mais c’est aussi le cas du plombier qui répare les colonnes de gaz. Les paysans, chiffonniers, mécaniciens, menuisiers, réparateurs d’électroménager ou d’informatique sont les héros de demain !

Nous avons besoin d’utopie, d’espoir, de projet de vie. Les jeunes générations vivent, au rythme des annonces catastrophiques, dans ce monde délirant où l’on nous explique à la fois que la planète va de plus en plus mal, et qu’il y a de plus en plus de technologies formidables pour nous sauver. Or, les faits montrent pour le moment que nous avons plutôt du mal à sauver la planète. Peut-on donner un nouveau souffle ? Ou reste-t-on avec cet horrible « there is no alternative » thatchérien ?

Il n’est jamais trop tard pour bouger. Les moyens financiers existent dans l’agriculture. On pourrait décider d’allouer les milliards d’euros de subventions de manière différente, en privilégiant les exploitations de plus petite taille et de polyculture, en gérant les questions des intrants et des effluents de manière plus intelligente qu’aujourd’hui avec la Beauce désertique d’un côté, et les usines à cochons de l’autre. Passer à ce cercle vertueux implique de changer un certain nombre de règles du jeu fiscales et réglementaires.

Face à la déferlante mortifère de consommation des ressources et de production de déchets, il y a un espace politique autour de la création d’emplois. Aujourd’hui, plus personne ne croit vraiment en la reprise de la croissance pour recréer de l’emploi. Est-elle seulement souhaitable d’un point de vue environnemental ? Bien sûr que non, puisqu’on ne sait pas découpler croissance économique et croissance de la consommation énergétique et de la production de déchets – il n’y a aucun exemple, aucune étude, aucune expérience, aucun chiffre pour étayer le contraire. Le pape, dans son encyclique, dit que « la terre où nous vivons devient moins riche et moins belle, toujours plus limitée et plus grise, tandis qu’en même temps le développement de la technologie et des offres de consommation continue de progresser sans limite ». C’est exactement cela. Chaque jour qui passe, on artificialise des centaines d’hectares qu’on transforme en parkings ou en lotissements, on perd des tonnes de terres arables par érosion et épuisement des sols, on éloigne un peu plus les citadins de la nature… Je pense qu’il y a une voie pour aller vers des sociétés plus soutenables, une voie certes étroite et compliquée, mais pas davantage que la voie technologique.

A lire : Philippe Bihouix, L’âge des low tech, ed. Seuil, coll. Anthropocène, 330 pages, avril 2014. 19,50 euros.

WWF plaide pour une relance verte, créatrice d’emplois

Mathieu Laurent,le 10/07/2020

” le WWF France estime que l’État devrait procéder à des investissements d’ampleur, à hauteur de 14 milliards d’euros par an supplémentaires sur la période 2020-2022. L’ONG avance qu’un tel plan de relance vert représente deux fois plus d’« emplois soutenus », c’est-à-dire les emplois directs, indirects et induits, qu’un plan de relance plus classique. D’après le dernier rapport de l’Agence Internationale de l’Énergie, une relance durable permettrait d’aboutir à un ratio de 4,5 emplois soutenus pour 1 emploi perdu dans des activités polluantes.

Soutenir plus d’un million d’emplois d’ici à 2022

Selon les estimations du WWF, réalisées en lien avec le cabinet Ernst & Young, un plan de relance verte ambitieux permettrait de « soutenir » 1 million d’emplois en France d’ici à la fin du quinquennat, et 1,8 million d’emplois à l’horizon 2030. Plus précisément, la rénovation énergétique des bâtiments générerait 278 000 emplois, les énergies renouvelables 190 000 emplois, les transports en commun plus de 125 000 emplois, tandis que 45 000 emplois directs seraient créés dans l’agriculture biologique.

Les activités autour du vélo, qu’il s’agisse de la réparation ou du tourisme, représenteraient un potentiel de 275 000 emplois, WWF préconisant une multiplication par dix du fonds vélo, pour atteindre 500 millions d’euros.

L’équilibre du territoire n’est pas oublié, puisque « 80 % des emplois soutenus seraient localisés hors de l’Ile-de-France en 2030 ». Grâce au développement des énergies renouvelables et aux activités liées à la transition des secteurs agricoles et touristiques, « les territoires ruraux seraient fortement bénéficiaires ».

Ce plan de relance verte nécessiterait des moyens conséquents, puisqu’il faudrait dégager 29 milliards d’euros à l’horizon 2022, puis 44 milliards d’euros à l’horizon 2030.

À l’instar de la Convention citoyenne, WWF écarte la piste de la taxe carbone pour lui préférer l’émission d’obligations vertes. L’ONG suggère également de mobiliser le fonds pour une transition juste, créé dans le cadre du Pacte vert lancé par la Commission européenne en janvier dernier. La France pourra en effet bénéficier de plus de 2 milliards d’euros à ce titre.”

Une croissance sans emplois : est ce possible ?

Extraits de Jean GADREY – 2015

Il faut se fixer de bonnes finalités écologiques, sociales et humaines, ce qui exige des ressources diverses dont les emplois (en quantité, en qualité et en utilité sociale et écologique), et alors la croissance sera ce qu’elle sera, on s’en fiche !

L’approche orthodoxe : sans une croissance suffisamment forte, on ne crée pas d’emplois, le chômage augmente. Pourquoi ? En raison des gains de productivité qui réduisent l’emploi sauf si la croissance est plus forte que ces gains. Cela nous « condamne » à la croissance à perpétuité.

Face à cela deux objections :

  1. La RTT (ou le partage du travail) est un outil puissant de création d’emplois même si le volume de travail n’augmente pas, ou pas assez, croissance économique ou pas.
  2. La poursuite indéfinie de gains de productivité est peu probable (ils ne cessent de diminuer) au niveau global, et elle n’est pas souhaitable.

La croissance n’apporte plus le bien-être et le progrès social au présent… Les pays les plus « riches » sont-ils ceux où l’on vit le plus longtemps en bonne santé, où les gens ont une meilleure éducation, où les inégalités et la pauvreté sont moindres, les violences et délits moins fréquents, etc. ? Oui en moyenne en deçà d’un seuil de PIB par habitant (de 15 000 à 20 000$ PPA selon les variables) que nous avons dépassé en France depuis les années 1970, mais NON au-delà. À partir d’un certain niveau de PIB/h, le bien-être et la « santé sociale » tiennent à d’autres facteurs et d’autres politiques que la poursuite de la croissance.

Et sur le plan écologique, elle fait des dégâts et se heurte aux limites de « la planète ». On surexploite les ressources naturelles et on dégrade les écosystèmes, dont le climat. Certaines ressources de la croissance sont non renouvelables, minerais et énergies fossiles en premier lieu. Leur épuisement est certain à plus ou moins long terme, mais pour certaines le processus est déjà très avancé (P. Bihouix, Ugo Bardi…). D’autres sont renouvelables (la nature peut les reproduire selon ses propres lois et rythmes, si on lui en laisse la possibilité) : eau, bois, terres arables, ressources halieutiques, biodiversité… Mais ces ressources sont exploitées au-delà de leur capacité de reproduction (empreinte écologique des humains = 1,5 planète)

Les économies futur seront non plus des économies de production et de consommations croissantes de quantitésmais d’abord des économies du prendre soin : Des personnes (santé, éducation, culture, bien-être), non seulement pour les aider mais surtout pour favoriser leur autonomie et leur activité propre. Du travail aussi, en relation avec les syndicats ; Du lien social à préserver et renforcer : solidarité de proximité et à d’autres échelles, accès à des droits universels liés à des biens communs… ;

Des choses et des objets, pour les faire durer, les utiliser, les concevoir et les produire à cet effet ; De la nature et des biens communs naturels, dans toutes les activités humaines, afin de rester dans les limites des écosystèmes et de transmettre aux générations futures des patrimoines naturels en bon état ; De la cdémocratie , vivante et permanente, au-delà de la démocratie à éclipse des élections. C’est peut-être le premier des biens communs, ou le plus transversal. Il faudrait lui associer le prendre soin du savoir et des connaissancee qui correspondent à des biens communs

Deux voies pour l’emploi (utile) et deux conditions

Deux voies : La RTT sous diverses modalités tout au long de la vie, un partage équitable du travail et des revenus + Des gains de qualité, soutenabilité et sobriété de la production et de la consommation, autre façon de « faire de la valeur ajoutée » dans une économie du prendre soin. Enrichir la production et la consommation en biens communs écologiques et sociaux.

Deux conditions : Une nette réduction des inégalités + Une « planification participative », une démocratie enrichie sans laquelle il n’y a pas de « biens communs.

La RTT peut apporter un tiers de la réponse en ne la limitant pas à la durée hebdomadaire : tout au long de la vie, retraite, période de « congés » rémunérés, etc. Elle n’exige pas la croissance, mais, sans croissance, elle exige un partage moins inégalitaire des revenus. Il y a d’autres raisons que l’emploi pour la défendre : un meilleur équilibre vie professionnelle/vie privée alors que l’épuisement au travail fait des ravages.

La plupart des processus de production « propres », les plus doux avec la nature (plus doux aussi en termes de conditions de travail), les plus économes en énergie et en matériaux, en eau… exigent plus de travail (que les productions polluantes et surexploitant les ressources naturelles) pour produire les mêmes quantités, mais d’une tout autre qualité. Les exigences écologiques et sociales et le « prendre soin » sont bons pour l’emploi (et autres activités), contrairement au productivisme en vigueur.

L’exemple de la transition agricole (et alimentaire) : Aujourd’hui, l’agriculture intensive pose d’énormes problèmes. De santé publique, de santé des agriculteurs, d’environnement : les sols s’épuisent, la biodiversité recule, les nappes d’eau s’épuisent. Le pétrole est de plus en plus cher, or il en faut beaucoup pour les machines, pour produire les engrais et pour transporter les produits sur de longs trajets. Tout cela s’accompagne de hauts niveaux d’émission de GES. Et c’est vrai aussi pour les pays pauvres.Selon Olivier de Schutter, ex-rapporteur spécial des NU pour le droit à l’alimentation, “L’agriculture conventionnelle n’est tout simplement plus le meilleur choix pour l’avenir ». Pour nourrir l’humanité, la voie d’avenir c’est l’agro-écologie moderne, à hauts rendements et de proximité. L’agriculture biologique et ses variantes. Et c’est essentiel aussi pour le climat (enjeux majeur de la restauration des sols et de la reforestation). Supposons qu’on remplace progressivement l’agriculture productiviste, avec ses innombrables dommages collatéraux sur l’environnement et sur la santé, y compris celle des agriculteurs, par de l’agriculture biologique de proximité, tout en modifiant la part relative des productions de viandes, céréales, primeurs, etc. (transition simultanée vers une alimentation « bas carbone »).

À production globalement identique en quantité (bien que d’une structure différente), il faudrait en moyenne 30 à 40 % d’emplois en plus (estimation en attente de travaux en cours). Les comptes nationaux actuels nous diront alors que la croissance est nulle (même quantité globale produite). Et même que la productivité a fortement chuté, alors qu’en réalité c’est la qualité et la soutenabilité qui auront progressé, ce qui ne se voit pas dans ces comptes de la croissance et des gains de productivité. Pourtant, en remplaçant les gains de productivité par des gains de qualités, on aura créé de nombreux emplois, la part de la valeur ajoutée agricole aura progressé, ce qui serait une formidable inversion d’une tendance séculaire, et surtout la qualité et la durabilité de la production auront été bouleversées positivement. On aura créé de bons emplois sans croissance ! Ce raisonnement concerne bien d’autres secteurs que l’agriculture.https://blogs.alternatives-economiques.fr/sites/default/files/migrated/blogs.dir/3/files/berck27juin.pdf

Indispensable : une forte réduction des inégalités Avec les inégalités actuelles, nombre de politique de l’environnement creuseraient les écarts entre ceux qui peuvent se payer des produits « verts », plus chers en moyenne, et ceux qui doivent se contenter du bas de gamme le plus anti-écologique. Un modèle de développement qui laisserait de côté une partie de la population ne peut pas réussir. Il serait socialement inacceptable, donc rejeté. D’autres arguments vont dans le même sens : – Les arguments de Wilkinson : l’égalité est bonne pour la santé humaine et sociale, la « croissance de l’égalité » supplante la croissance économique. – La surconsommation matérielle tient en partie à des comportements d’imitation enracinés dans les inégalités. – Freiner la pression démographique mondiale passe d’abord par l’éradication de la pauvreté, par l’éducation, par le développement humain. – Quand des ressources vitales sont physiquement limitées, il est encore plus défendable d’en exiger une répartition égalitaire.

Remplaçons « croissance et gains de productivité » par – Gains de qualité et de durabilité, sources d’emplois utiles – Gains de solidarité, d’égalité, de coopération – Gains de temps libre choisi -Gains de qualité et de sens du travail et de l’emploi – Gains de démocratie comme moyen et finalité

Aimes ta prison…

La vie m’a poussé en toi, peu à peu je me suis retrouvé là. Assigné à un naufrage.

Regardant, impuissant d’autres agir et briller. Je me suis débattu pour en sortir.

Vaines tentatives. Une force, une douceur en moi me susurre :

« Repose toi… Ta prison sera ton tremplin. Aimes ta prison. Chéris la jusqu’au dernier barreau. Et une lumière neuve t’appellera au dehors. Il n’est pas temps encore. Bientôt peut être, avec amour « .

Ardeur du désir et lenteur du pas


« Le désir fervent est d’ordre ascensionnel, tandis que la marche règle notre conduite terrestre. Il s’agit bien pour le chercheur de Dieu de conjuguer l’ardeur du désir et la lenteur du pas, la ferveur et la longue patience; de ne pas brûler les étapes et de toujours couvre son feu. Voilà pourquoi l’escargot, plus que le guépard offre une juste image du pélerin spirituel ».

Jacqueline Kelen, « Bréviaire du colimaçon »